Côte d’Ivoire-Covid-19 : la vaccination patine en milieu rural

Ouestafnews – Dans le cadre de la campagne de vaccination contre le Covid-19, la Côte d’Ivoire compte atteindre 70% de sa population en administrant mensuellement deux millions de doses. Mais en milieu rural (8576 villages en 2021) l’éloignement des districts sanitaires, l’enclavement de certaines localités et l’insuffisance du personnel dédié ralentissent la campagne.

Kohourou, campement situé dans le sud-est de la Côte d’Ivoire, à plus de 130 km d’Abidjan, dans le district sanitaire d’Aboisso. La localité n’est accessible que par une piste. Selon les autorités, la couverture vaccinale contre le Covid-19 y est acquise. Ce que semblent confirmer certains habitants. « Nous bénéficions de visites régulières et programmées des équipes de vaccination contre le Covid-19 depuis le démarrage de celle-ci », confie à Ouestaf News, Georges Assemian, un habitant.

Ces propos sont corroborés par Assi Hugues, point focal PEV/Covid-19 (Programme élargi de vaccination) au district sanitaire d’Aboisso. « La population du département d’Aboisso dans sa majorité a accès au vaccin anti-Covid-19. »explique Assi Hugues dans un entretien téléphonique avec Ouestaf News.Tous les grands villages sont dotés pratiquement d’un centre de santé qui travaille qui reçoivent les doses de vaccins  du  district sanitaire, selon  le point focal.

À Ahoué, situé dans la commune d’Anyama à une trentaine de kilomètres au nord d’Abidjan, résonne un autre son de cloche. Une séance de vaccination contre le Covid-19 devrait avoir lieu ce 20 juillet 2022  au centre de santé rural du village. La séance est prévue dans le calendrier vaccinal établi par le district sanitaire.

De 7h et demie à la mi-journée, sept personnes sont passées pour recevoir leur deuxième dose du vaccin. « Je viens de prendre ma deuxième dose. Normalement mon rendez-vous initial a expiré depuis un mois », confie Acho Christine. Cette dame a dû quitter son campement (Attiékoi) à environ cinq km du centre de santé pour venir se faire vacciner. Elle justifie ce retard par le fait qu’elle doit faire 10 kilomètres (aller-retour) pour se faire vacciner. Or, son activité d’agricultrice, grâce à laquelle elle subvient aux besoins de sa famille, ne lui permettait pas de se libérer pour respecter le délai.  

Selon Acho Christine, plusieurs de ses frères et sœurs ne seront pas vaccinés. Elle souhaite que les agents vaccinateurs puissent effectuer un déplacement dans son campement. Une sollicitation que l’infirmier du village, Darioh Kossonou ne pourrait satisfaire. « Je suis seul en charge de la vaccination au sein du centre de santé duquel dépendent au moins cinq campements. Il n’y a qu’un seul agent de santé communautaire (ASC) qui m’appuie dans cette tâche », justifie l’infirmier.

Face à l’insuffisance de personnel dédié à la vaccination, Darioh Kossonou procède par programmation pour que les populations elles-mêmes viennent se faire vacciner au centre de santé. Cette méthode semble inefficace. A 17h 25, seules 23 personnes sont passées se faire vacciner sur plus d’une centaine attendue.

Malgré la sensibilisation de la population, les résultats de la campagne de vaccination contre le Covid-19 « sont mitigés en milieu rural », selon Dr Koffi N’Dri Célestin, socio-anthropologue de la santé. Pour l’universitaire, dans les départements de Korhogo et de Bouna au nord, « les femmes et les personnes âgées sont pour la vaccination, mais les hommes restent réticents à cause  des suspicions, intoxications, rumeurs, préjugés, etc. ». Malheureusement, note Dr Célestin,  « les populations de ces zones n’ont pas été associées aux campagnes de sensibilisation ». 

Une Task-Force à la rescousse

 À la faveur de la pandémie de Covid-19, le ministère de la Santé, de l’Hygiène publique et de la Couverture maladie universelle a développé plusieurs stratégies visant à vacciner 70 % de la population ivoirienne. Une Task-Force a ainsi été mise en place pour gérer la lutte contre le Covid-19, explique Dr Koné Hamidou, membre de la coordination centrale de la « Task Force ».

La Task-Force permet d’adopter « une stratégie combinée » en administrant simultanément le vaccin contre le Covid-19 et celui contre  la poliomyélite aux populations cibles. Ce mécanisme est réalisé par des équipes qui sillonnent (à pieds ou à motos) les contrées des 113 districts sanitaires et des 33 régions, comme réponse aux préjugés sur le vaccin anti Covid-19.

Selon Dr Hamidou Koné, par ailleurs, point focal des activités de vaccination liées au Covid-19 au sein du PEV, au mois de juillet 2022, « plus de 14 millions de doses de vaccins anti-Covid-19 ont été utilisées ».

Le vaccin anti-Covid étant administré en deux, voire trois doses par personne, ce lot a permis de vacciner environ deux millions de personnes en milieu rural contre cinq millions en milieu urbain, selon le Dr Koné. Ce déséquilibre peut être expliqué « par le nombre insuffisant de centres de santé en milieu rural, ce qui ne favorise pas de facto la proximité du vaccin Covid-19 des populations », explique Sylviane Soro, infirmière dans le centre rural de Napié au nord.

Exigences de conservation

En milieu rural, les conditions d’accès au vaccin sont bel et bien un défi. La conservation des doses en est un autre. Les techniciens de laboratoire insistent sur le fait que la conservation du vaccin anti-Covid est très délicate et exigeante. « Entre +2°C et 8°C, c’est la température qu’il faut pour rester en bon état lors des déplacements. » Cette recommandation est  valable pour la plupart des vaccins utilisés en Côte d’Ivoire tels Pfizer, AsTraZeneca, Novax, Moderna, Johnson and Johnson, selon  Boua Assemian, analyste biomédical à la Direction de l’équipement du ministère de la Santé.

Pour les besoins de la stratégie  mise en place par l’Etat, les agents de santé disposent de « glacières avec des accumulateurs pour conditionner les vaccins à la température requise. A l’intérieur de ces contenants isothermes, la température varie entre +2°C et +8°C », précise Assi Hugues, le point focal PEV/Covid-19 d’Aboisso.

Sur le terrain, les populations restent sceptiques malgré ces assurances, comme lorsqu’on « aperçoit de la glace dans certaines glacières ou thermos que transportent les agents vaccinateurs », fait remarquer Cissé Seydou un habitant de la commune d’Anyama dans l’une des banlieues d’Abidjan.

Les différentes firmes qui ont développé les vaccins contre le Covid-19 sont très exigeantes sur leurs conditions d’utilisation. La moindre défaillance est susceptible « de les modifier ou de les endommager », selon l’analyste biomédical Boua Assemian.

Dans un rapport intitulé : « Covid-19 : guide sur l’entreposage et la manipulation des vaccins », publié le 24 mars 2022, le ministère canadien de la Santé notifiait les exigences de manipulation des vaccins anti-Covid-19. « Dans le cas des vaccins contre le Covid-19 autorisés d’AstraZeneca et Novavax, l’orientation et les recommandations sur l’entreposage et la manipulation doivent respecter les pratiques existantes pour les vaccins conservés au réfrigérateur à des températures de +2 °C à +8 °C »,lit-on dans le guide.

Il existe deux types d’entreposage ou de conservation pour tous les vaccins contre le Covid-19 connus : la forme congelée et celle décongelée ou liquide. Dans les unités d’entreposage les vaccins sont généralement sous la forme congelée à très basse température. Pour le vaccin Moderna, par exemple, « les flacons congelés sont conservés à une température comprise entre -25°C et -15°C », indique le guide.

Le même vaccin dans sa forme non perforée et décongelée (prêt à l’emploi) peut être conservé à une température « comprise entre +2 °C et +8 °C pendant un maximum de 30 jours, ou entre +8 °C et +25 °C pendant un maximum de 24 heures », clarifie le document. Pour les autres vaccins (Novavax, Pfizer, AsTraZeneca, Johnson and Johnson), sous forme décongelée ou liquide « la température d’utilisation pendant les séances de vaccination reste comprise entre +2°C et +8°C », indique le rapport.

En Côte d’Ivoire, ces indications sont respectées sur le terrain, selon Dr Koné Hamidou point focal des activités de vaccination, même si le constat fait par Cissé Seydou avec l’utilisation de la « glace » peut nuancer cette affirmation. Ouestaf News n’a pas pu obtenir de confirmation de source indépendante sur les assurances avancées par le gouvernement ivoirien.

Chez les autorités sanitaires, on affirme que la logistique nécessaire (réfrigérateurs, contenants isothermes, matériels roulants etc.) est déjà en place pour les campagnes de routine. Pour la campagne de vaccination anti-Covid, il a fallu juste  renforcer le dispositif.  

La Côte d’Ivoire compte près de 2.500 centres de vaccination répartis dans 113 districts sanitaires en fonction de la densité de la population. Le milieu rural concentre plus du tiers de ces centres selon le ministère de la Santé etchacun de ces centres disposent « au moins d’un réfrigérateur », selon Dr Koné Hamidou.

Pour atteindre ses objectifs en matière de vaccination anti-Covid, l’Etat avait tablé sur l’administration d’environ deux millions de doses par mois. Sur le terrain, les chiffres dépassent à peine les 50 % de cet objectif. En milieu rural, les résultats sont encore beaucoup plus mitigés.  

DS/fd /ts

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