Vacciner le maximum de Sénégalais contre le Covid-19 reste un grand défi. Vacciner les femmes enceintes l’est encore plus.
Ballotées entre peur de l’inconnu et influences négatives des fake news, beaucoup de femmes ont choisi de s’éloigner des centres de vaccination. Mais la courbe semble s’inverser.
Une première grossesse. C’est l’aventure qu’est en train de vivre Ndèye Khoudia. La dame de 32 ans vêtue d’une robe dite « gabonaise» bleue, surmontée d’un voile qui couvre son ventre arrondi attend son tour devant le bureau de la maîtresse sage-femme.
Comme plusieurs autres femmes présentes sur les lieux, elle tient à respecter son calendrier de consultations prénatales au centre de santé Mame Abdou Aziz Dabakh des Parcelles assainies. Mais elle n’a pas encore pris le vaccin contre le Covid-19 à cause du veto de son époux et d’influences extérieures.
« Nous avons reçu beaucoup d’audios et de vidéos sur WhatsApp qui nous mettent en garde contre les vaccins anti-Covid qui rendraient stériles pour limiter les naissances en Afrique », explique souriante Ndèye Khoudia. Pour la jeune femme, « faire beaucoup d’enfants » fait partie des traditions.
Au Centre de santé Gaspard Kamara, les va-et-vient incessants des agents et des usagers animent les couloirs. Du bureau de la «maîtresse» en chef, parviennent des échanges houleux entre sages-femmes et infirmières. Des instants après, la patronne en sort à toute vitesse. Impossible de lui parler.
Une femme enceinte sort de la salle, un homme à ses basques. On ose la question : « madame, êtes-vous vaccinée ?»
« C’est moi qui suis vacciné, répond son mari à sa place. Après une première dose, je n’arrive toujours pas à prendre la seconde car j’étais malade lorsque la première dose m’avait été administrée ». Depuis, le mari refuse que son épouse se fasse vaccine car dit-il : « j’ignore les conséquences de la vaccination sur elle et sur le bébé. Je ne prends aucun risque ».
Fake news, peur…
La circulation des fake news sur les réseaux sociaux semble avoir porté un coup aux campagnes de vaccination contre le Covid-19. Par crainte, refus ou à cause de l’inaccessibilité de l’information, les femmes enceintes ne se bousculent pas dans les centres de vaccination.
Dès le 23 février 2021, début de la campagne de vaccination contre la pandémie au Sénégal, les cibles prioritaires désignées étaient les personnes de plus de 60 ans, celles atteintes de co-morbidités, les femmes allaitantes et le personnel de santé. Ce qui représente environ 20 % de la population totale. C’est la contagiosité du variant Delta et l’accumulation de décès chez les femmes en état de grossesse contaminées par le coronavirus qui ont poussé le gouvernement à revoir sa stratégie.
La vaccination contre le Covid-19 a été fortement recommandée pour les femmes en état de grossesse et allaitantes », explique le Pr. Tandakha Dièye Ndiaye, chef de l’unité d’immunologie à l’Iressef (Institut de recherche en santé, de surveillance épidémiologique et de formations). Cette recommandation fait suite, selon le Dr Ndiaye, à la menace notée « d’une évolution sévère de la maladie et le risque accru d’admissions massives en soins intensifs, d’intubation et de mortalité plus élevé chez les femmes enceintes que chez les femmes de même âge non enceintes ».
Dans une note d’information publiée le 9 août 2021, le Dr El Hadj Mamadou Ndiaye, directeur de la Prévention au ministère de la Santé, a fait savoir que « la vaccination contre le Covid-19 est désormais indiquée chez les femmes enceintes ».
Selon la BBC, les essais cliniques réalisés il y a un an avec le vaccin Pfizer-BioNtech n’avaient pas concerné les risques encours par les femmes enceintes et allaitantes. Sans données fiables, le laboratoire germano-américain avait recommandé la prudence. Au Sénégal, d’autres études ont convaincu les autorités sanitaires.
« Il a été démontré qu’après une vaccination, les anticorps des femmes enceintes sont transmis à l’enfant via le placenta mais aussi via le lait maternel », explique le Pr Tandakha Dièye Ndiaye interrogé par Ouestaf News. Cependant, les certitudes ne sont pas absolues.
« La vaccination pendant la grossesse ne comporte pas de risques importants pour la femme enceinte », indique le professeur Ndiaye. Mais selon lui, il reste à déterminer si oui ou non, à partir du lait maternel, l’enfant obtient une certaine protection contre le Covid-19. Actuellement, les données n’informent pas non plus sur le moment optimal pour procéder à la vaccination au cours de la grossesse.
« Je suis vaccinée, j’allaite et mon bébé va bien »
Résidant aux Maristes, Khadidiatou Kamara est une femme allaitante. Son bébé avait 7 mois quand elle a pris sa première dose au mois de juin, trois semaines après, elle a pris sa seconde dose de Sinopharm. « Je n’ai pas eu d’effets secondaires. J’allaite convenablement mon bébé. Nous deux allons tous bien, Al hamdou lillah (ndlr : Dieu merci)», affirme Mme Kamara.
D’après le Pr. Tandakha Dièye Ndiaye, une vaccination au cours du premier trimestre de la grossesse est permise au Royaume-Uni et aux Etats-Unis à condition que la femme le souhaite. En Suisse, par contre, la recommandation porte sur une vaccination à partir du deuxième trimestre car la formation des organes embryonnaires/fœtaux est alors pratiquement terminée.
« La vaccination est expressément conseillée aux femmes envisageant une grossesse », ajoute l’expert.
Samu municipal de Dakar, le 12 novembre 2021, un vendredi matin. Il y a du monde dans ce centre de santé dakarois. A la maternité, les femmes ne sont pas très nombreuses. La recrudescence du Covid-19 notée quelques mois plus tôt les avait éloignées du centre et interrompu leurs consultations.
Dans un premier temps, les sages-femmes appelaient au téléphone les femmes enceintes suivies dans leur service. L’objectif était de les rassurer quant à la fiabilité du dispositif mis en place pour éviter la propagation du virus. Pour certaines, la vaccination n’était pas envisageable ; pour d’autres, c’était inacceptable. Mais toutes honoraient leurs rendez-vous médicaux et suivaient les conseils des sages-femmes.
« En fin de compte et à force de patience, ce sont elles-mêmes qui ont exprimé le vœu de se vacciner », a confié à Ouestaf News, Mme Facoumba Ndiaye, sage-femme au Samu municipal, non sans dénoncer leur non-implication dans le programme de vaccination. « On ne nous a rien dit sur la période à laquelle une femme enceinte doit se vacciner ni quel vaccin privilégier pour elle », déplore Mme Ndiaye pour qui leur rôle se limite à orienter les patientes vers les responsables de la vaccination.
Quel vaccin administrer ?
Les premières femmes enceintes qui ont été vaccinées ont eu droit au « Johnson & Johnson », selon Facoumba Ndiaye. Mais aujourd’hui, il n’existe pas de recommandation pour un type de vaccin déterminé.
« Tous les vaccins Covid-19 disponibles et approuvés sont autorisés chez les femmes enceintes ou allaitantes quelle que soit la plateforme (vaccins ARNm, vaccins vecteurs, vaccins inactivés ou vaccins recombinants) » précise le Pr. Tandakha Dièye Ndiaye.
Cependant, poursuit-il, « des études observationnelles sur la vaccination chez les femmes enceintes ont été faites surtout les vaccins à ARNm et elles n’ont montré aucun incident ou effets néfastes sur la grossesse ».
Depuis le début de la campagne de vaccination jusqu’à ce jour, aucun document officiel rendu public ne signale les risques de fausse-couche chez les femmes vaccinées, ni à des données publiques concernant le nombre de femmes enceintes vaccinées.
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